Projet: Forward: America
Genre: Documentaire
Une coproduction Cause et Moritz Pialat
la Fin du Rêve
Into the West
Le collectif s’appelle Moritz Pialat. Pour marquer une révérence unanime à l’oeuvre du réalisateur Maurice Pialat. La légère variation au prénom pour insister sur la touche suisse. Voilà, facile. Il s’agit de Fisnik Maxhuni, Frédéric Steimer et Pierre-Olivier Chenu, 3 jeunes réalisateurs franco-romands issus de parcours universitaires en domaines scientifiques, reconvertis en artistes du septième art.
Unis par l’ambition engagée d’un cinéma expérimental innovateur, cette volonté partagée les fédère aujourd’hui autour du projet Forward: America – un documentaire en cours de tournage sur un road-trip à travers les états américains du sud-est dits de la Bible Belt. Une odyssée à voiture de la Nouvelle Orléans à New York, alors que la folie des élections présidentielles atteint son paroxysme. Porté aussi bien par la fascination que par un effort d’ouverture et de compréhension, le collectif entreprend de dépeindre avec une approche libre le visage d’une autre Amérique contrastant avec les représentations répandues et les projections désuètes.
Showtime
Les États-Unis. Aujourd’hui scène d’un cirque grotesque. Une parodie indécente aux perspectives troublantes, une blague de mauvais goût. Sinistres promesses hors d’un marais de turpitudes politiques aux relents écœurants. Combien ne partagent donc pas ce sentiment d’hébètement pointant au comment en est-on arrivé là? À des débats d’une telle bassesse. Aux petites gué-guerres gamines de deux candidats aussi peu crédibles ou fiables l’un que l’autre. Aux rebondissements rocambolesques qui leurrent si facilement l’opinion et affolent les sondages. Au grand gala du Miss or Mister America Pageant…
Ca peut pas être sérieux… On voudrait détourner le regard – notre intelligence se sent ouvertement offensée. Mais d’abord au fait, pourquoi diable se sentir à ce point concerné d’aussi loin, en Europe, en Suisse? Les chaînes d’info sont-elles encore parvenues à convaincre qu’une telle affaire fasse incontestablement la une et occupe tous les esprits? Car c’est une réalité: tout le monde en parle, donne son avis, s’afflige. Tout compte fait, il s’agit quand même de la première superpuissance économique, militaire et médiatique: comment, en effet, ne pas s’alarmer des conséquences potentielles de ce phénoménal concours d’hypocrisie? Ça pourrait bien devenir très sérieux.
C’est là typiquement le genre de situations qui entraînent certaines imaginations à fabuler que quelque part, tapis dans l’ombre en coulisses, d’occultes marionnettistes sadiques tirent les ficelles de la farce satirique. Si ce n’est, plus communément, à perdre tout espoir en l’univers de la politique. On va bien évidemment éviter ici de faire semblant de ne pas être parfois bien peu fiers de nos propres représentants, d’où que l’on puisse être. Toujours est-il qu’on retrouve ces jours trop souvent le sentiment que ça n’avait jamais volé aussi bas. À se dire à très juste titre: You must be kidding me.
Une approche libre
Mais ce serait trop simple et là très injuste de s’arrêter à la simple explication que les américains sont aussi sots, sournois ou grossiers que ce que démontrent les deux candidats à la présidence. On se doit d’envisager l’interprétation de cette mascarade électorale comme symptomatique d’un trouble plus profond et complexe, quelque chose d’au fond bien plus appréhendable: celui d’un peuple divisé, en plein doute, désenchanté. Scindé en deux partis inconciliables et pourtant inséparables sous l’emblème de l’identité nationale, en pleine crise de valeurs et perte de repères.
C’est dans un tel élan, semble-t-il, que se sont lancés les trois réalisateurs. Chargés de respect et d’humilité, l’esprit posé et réfléchi, délaissant tout soupçon de sarcasme et faux-airs, le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont partis bien apprêtés. “Une préparation en amont stricte et bien rodée” pour reprendre leurs termes. Et ça se sent. D’abord dans le flegme confiant et la décontraction qui ressort des podcasts d’interviews publiés sur les fréquences du Grrif. La jeune radio jurassienne suit en effet de près l’odyssée américaine du collectif de semaine en semaine depuis leur départ, début octobre. Et non seulement nos compères maîtrisent leur sujet, mais encore l’abordent-ils avec la mesure appropriée de modestie, sincérité et empathie.
Leur intention est d’abord expérimentale: une exploration de voies d’expression diverses, visitant parfois la limite entre documentaire et fiction. Gonzo style assumé, surtout dans l’ultra-subjectivité. Une traversée de bayous, mangroves, ghost towns et champs de coton de la Louisiane, l’Arkansas, le Tennessee et le Kentucky. Pour confronter les gens avec la vision européenne de la situation.
Confiants que les extrémités reflétées par les deux concurrents saura leur fournir un matériel cinématographique très puissant, ils souhaitent toutefois se démarquer d’une analyse politique pure. Ce qui les intéresse est “non pas un film sur la campagne, mais une étude sur l’impact de la campagne sur les résidents de certaines régions américaines.” Il partent ainsi à la rencontre de ces états délaissés des institutions pour sonder les avis de ceux qui sont si peu – voire pas du tout – représentés par le suprême faisceau médiatique. Ils tendront par là aussi à expliciter d’avantage les implications de la tendance démissionnaire, somme toute première majoritaire, parmi la population électorale.
Comme dans les films
Et bien sûr, il ne sert à rien de nier qu’il s’agit quelque part d’exploiter le coté croustillant de certaines tendances typiques qui font le mythe de l’Amérique de ces régions, vu de l’extérieur, porté sur nos écrans: formats extra-larges de ferveurs fiévreuses en tout genre. Fondamentalisme, conservatisme et suprématie des valeurs, capitalisme, nationalisme, communautarisme, consumérisme, divertissement, spectacle, toujours la totale. Sans parvenir à atténuer l’arrière goût âpre de la réalité quotidienne d’une grande partie: crise, précarité, déchéance, excès, brainwashing, désillusion, insécurité, tensions, ségrégation. Les revers du rêve auquel on persiste à croire, paradoxe d’une liberté si peu libre, une culture idéalisée et le contraste perturbant de sa vérité.
Un ailleurs où chaque personne rencontrée est susceptible d’incarner un des aspects de cette dimension hors-norme qui caractérise nos visions étrangères. Et sachant à quel point le climat actuel magnifie ces traits culturels caricaturaux, on ne peut que comprendre l’opportunisme derrière les motivations de nos documentaristes.
Or, si l’on doit se préparer à un voyage qui achèvera sans doute de faire évaporer quelques fantasmes embaumés qu’on peut encore se projeter du nouveau monde, on peut simultanément se risquer à s’attendre à une conclusion imprégnée d’une tonalité encourageante. Connaissant la qualité des caractères qui s’exprime parmi les membres du collectif, il ne fait pas de doute qu’ils tireront de l’expérience ce qu’elle offrira de plus généreux: en valorisant la richesse de leurs rencontres en chemin, l’authenticité et le charisme des personnalités les plus variées, et tous les fruits d’une vraie expérience humaine avant tout. Tout ceci pour nous amener – espérons-le – à une meilleure compréhension du contexte qui a fait qu’aujourd’hui le peuple américain se trouve face à un dilemme si consternant, à savoir: devoir – sinon se taire – faire le choix du moins pire parmi deux maux.
texte: P. von Arx
photos: Olof Grind